R. Deffet (BEL),
Directeur de la préparation physique a Potter’s Wheel International Tennis Academy - China
Introduction
Mais que se passe-t-il dans le tennis féminin moderne ?
Alors que les techniques de conditionnement physique et d’entrainement tennistique n’ont peut-être jamais été aussi avancées en terme de recherche de la performance, on constate depuis quelques mois voir quelques années que le niveau du tennis féminin n’a jamais été aussi bas d’un point de vue du palmarès des 10 meilleures joueuses WTA. Entre numéro 1 mondiale sans le moindre titre en grand chelem et gagnante de grand chelem à l’impossibilité de confirmer leur performance durant la saison, elle est bien loin la génération 70 – 80 qui dans la fin des années 1990 et le début des années 2000 impressionnait de régularité durant toute la saison.
A l’heure du tennis moderne, ne récolte-t-on pas les fruits d’une hyper spécialisation beaucoup trop précoce de nos jeunes joueuses ? Cette différence entre la génération Halep et la génération Henin ne s’est-elle pas faite durant l’enfance et l’adolescence?
Il semble évident que durant ces dernières années, la volonté de performance immédiate grâce à des entrainements spécifique pour le tennis dès le plus jeune âge au détriment d’un développement corporel harmonieux de nos jeunes joueuses voit ce système s’effondrer de jour en jour.
N’oublions pas que chacune des joueuses reste un être humain et que talentueuse ou non, leur corps suit une évolution durant l’enfance et l’adolescence qui doit impérativement être prise en compte pour construire des entrainements adaptés. Demander à une joueuse de 12 ans de servir 200 balles par jour pour développer sa technique de service ne va pas l’aider à devenir performante tout au long de sa carrière, que du contraire.
Voici une analyse des différentes évolutions et maturations de l’enfance et l’adolescence grâce au résultat d’étude scientifique et le point sur les règles à suivre lors d’entrainement aussi bien physique que tennistique.
Analyse
Croissance et maturation corporelle de l’enfance et l’adolescence.
Pour poser un acte pédagogique de qualité, l’entraineur doit tenir compte du niveau développemental atteint par sa joueuse. En tennis, on s’intéressera bien sûr au niveau moteur de la joueuse, mais également au niveau de son développement cognitif, relationnel… pour proposer une intervention adaptée.
D’un point de vue moteur, les habilités fonctionnelles qu’une joueuse maitrise dépendent non seulement des facteurs d’exécution (Force, souplesse, endurance, vitesse, …) mais également des facteurs psychomoteurs dont le développement est particulièrement marqué dans l’enfance.
C’est grâce à ce processus physiologique, génétiquement déterminé, qu’un organe ou un ensemble d’organes arrive(nt) à maturité. Cette maturation permet à la fonction sous-tendue par l’organe de s’exercer librement et avec un maximum d’efficacité.
Notons qu’il n’y a pas de correspondance parfaite entre l’âge chronologique et la maturation. La maturation détermine l’âge physiologique. C’est cet âge physiologique qui devra être pris en considération par les coaches pour créer et adapter leurs entrainements. Nous y reviendrons à la fin de cet article.
Comme évoqué dans l’introduction, chaque entrainement se doit de suivre les règles de l’évolution humaine. Les scientifiques parlent d’une période critique comme étant la période pendant laquelle l’exercice est indispensable pour que la fonction permise par la maturation puisse s’établir. Si on ne s’exerce pas correctement à ce moment précis, cette fonction ne sera pas réalisée parfaitement.
Les fonctions nerveuses peuvent murir et atteindre un degré de maturité normal mais rester sans effet parce que rien n’incite la joueuse à l’utiliser.
Cette absence de stimulation spécifique durant la période critique peut provoquer l’impossibilité d’acquérir une habilité quelle qu’elle soit.
Généralisons en expliquant que l’addition de la croissance (changement de dimensions du corps) et la maturation (changement de structure nerveuse et de fonction du corps), lorsqu’elles sont cumulées, permettent d’avoir de nouvelles habilités potentielles en vue de l’adaptation de la personne à son milieu.
Hauert (1995) définissait les fonctions de la motricité ainsi :
La motricité permet de…
· S’orienter ou de se déplacer pour agir efficacement.
· Se protéger
· Communiquer
· Agir efficacement sur le réel pour le modifier à son avantage (déplacer des objets, les manipuler, les transformer)
· Prendre correctement l’information
· Développer l’adaptation au milieu.
Cette définition colle parfaitement aux besoins de nos joueuses de tennis.
L’évolution corporelle tout au long de l’enfance et de l’adolescence constitue un socle de développement de la joueuse. Voici une brève explication des évolutions les plus importantes à prendre en considération lors des entrainements :
1. Evolution du système cardio-pulmonaire.
Bouchard et Malina (1998) ont démontré que la possibilité d’obtenir des effets importants d’un entrainement de la puissance maximale aérobie des enfants de moins de dix ans apparaît limitée.
Cependant, on ne peut pas vraiment affirmer si cette observation est la conséquence d’un faible entrainement, de niveau relativement élevé d’activité initiale ou de l’inadéquation des programmes d’entrainement.
Pendant la puberté, la réponse à l’entrainement aérobie augmente considérablement.
2. Evolution du système locomoteur.
La masse musculaire
La masse musculaire augmente avec l’âge pendant la croissance de manière plus importante chez les garçons que chez les filles. La masse musculaire relative moyenne passe de 42 à 50% du poids total du corps chez les garçons entre 5 et 17 ans et de 40 à 45% chez les filles de 5 à 13 ans pour ne plus varier que faiblement par la suite. (Bouchard et Malina, 1998).
La souplesse musculaire
La mobilité articulaire est maximale vers 9 ou 10 ans avant de diminuer sous l’influence de changements morphologiques engendrés par la croissance accélérée au moment de la puberté. La souplesse continue à se dégrader à l’âge adulte (Duchateau, 1998).
Le gain de force chez l’enfant pré pubère
Le gain de force chez l’enfant pré pubère est rarement associé à une hypertrophie musculaire mais plutôt à une « adaptation nerveuse » :
· Mise en jeu d’un plus grand nombre d’unités motrices.
· Meilleure coordination des unités motrices.
· Amélioration de la coordination des muscles synergiques et antagonistes.
· Prudence dans la manipulation des charges importantes sur des squelettes encore incomplètement ossifiés.
· Effet tonifiant positif d’une musculation bien adaptée.
3. Evolution du système nerveux.
« La myélinisation des voies et des centres nerveux se produit du stade prénatal à la fin de l’adolescence. Elle assure d’abord les fonctions de la vie végétative pour s’étendre progressivement au contrôle sensori-moteur des activités comportementales, des plus simples aux plus complexes » (Rigal, 1985, 380)
Organisation céphalo-caudale :
L’enfant va d’abord contrôler des mouvements qui touchent des parties du corps proches de la tête et ce n’est que progressivement que ce contrôle va s’étendre aux parties du corps plus proches du bassin.
Organisation proximo-distale :
L’évolution du contrôle des membres va se faire selon une certaine logique. Ainsi, l’enfant accèdera au contrôle de l’articulation proximale (proche de la racine du membre) plus précocement qu’au contrôle de l’articulation distale du membre.
Ces deux « lois » sont confirmées au niveau strictement neurologique par l’observation du développement du système nerveux (Myélinisation).
« Le contrôle proactif du mouvement est mis en place avant le contrôle rétroactif. Il y aurait ensuite, autour des 8 ans, un mode de fonctionnement transitoire qui précèderait l’intégration des modes proactifs et rétroactifs selon la séquence adulte. De fait, le mode rétrocontrôle serait intensément utilisé vers l’âge de 7 à 8 ans, au point de délaisser le mode proactif. Ce fonctionnement explique évidement la dégradation des performances en situation de boucle ouverte (c’est-à-dire sans information sur le mouvement en cours) et doit inciter l’éducateur à fournir un maximum de réafférences sensorielles dans les situations d’apprentissage à cet âge. » (Boisacq-schepens, Fayt, 1998, 45)
4. Evolution psychomotrice.
On parlera principalement de l’évolution psychomotrice dans l’enfance sur la base de l’évolution des dimensions psychomotrices mais on doit également envisager les réajustements liés à l’adolescence et certaines à l’âge adulte.
La motricité globale
La motricité globale se définit principalement en trois parties.
§ Les mouvements non locomoteurs : dribbler, shooter, frapper…
§ Les mouvements locomoteurs : marcher, courir, rouler à vélo…
§ La posture : se tenir debout, rester sur un pied, s’assoir…
De 6 à 12 ans : période de raffinement de la Motricité Globale ; la joueuse ne se contente plus de développer les habiletés psychomotrices, elle souhaite de plus en plus apprendre des mouvements spécifiques à différentes activités corporelles. C’est durant cette période que la joueuse va contrôler son équilibre. Elle va également amener à son apogée les mouvements en dissociation et en coordination.
La motricité fine
La motricité fine concerne les mouvements fins requérant de la précision. Elle fait appel au contrôle de certains membres en particulier et à la perception pour guider le mouvement dans l’exécution d’une tâche motrice.
La motricité fine s’exprime dans le développement de la préhension et de la manipulation.
Tout comme la motricité globale, cette motricité fine va avoir sa période critique entre 6 et 12 ans.
L’image du corps
Il semble que vers 6 ans, l’image du corps soit intériorisée. Cependant, cette image reste une image limitée à la perception immédiate, une image statique et seulement bidimensionnelle.
De 7 à 12 ans : on parlera de corps représenté.
Par la « décentration », l’enfant va devenir capable de passer d’une « image statique du corps à une image anticipatrice dans laquelle le corps devient lui-même un objet de l’espace qui peut être imaginé, être à un autre lieu de l’espace à un autre moment du temps » (Le Boulch, 1995, 262)
En effet, l’enfant (par l’accès a la pensée opératoire) va progressivement pouvoir réaliser des opérations mentales : il va pouvoir se représenter ses actions (les intérioriser) en inventer d’autres et combiner ses actions en imagination. Il va pouvoir se représenter le corps en action, c’est pourquoi on parle de l’étape du corps représenté.
o L’enfant peut imaginer un mouvement avant de l’exécuter ;
o L’ajustement postural se perfectionne.
L’organisation spéciale
L’Âge de 7 ans apparaît être une période charnière. Avant 7 ans, l’espace est « perceptif » en ce sens que sa connaissance reste influencée par la perception immédiate.
La joueuse ne peut se dégager de son propre point de vue, l’organisation se fait à partir de soi ; le corps demeure donc le seul point de référence pour celle-ci, au cours du déplacement d’un point à un autre, l’enfant ne se représente pas l’ensemble du trajet.
L’organisation temporelle
Vers l’âge de 6 ans, la joueuse va comprendre et identifier le présent, le passé et le futur avec certaines confusions dans l’utilisation des mots comme avant hier et hier. La capacité de se rappeler et d’ordonner les évènements d’une histoire simple (orientation temporelle), de même que celle d’utiliser des notions temporelles liées au vécu immédiat sont acquis.
Vers 7 ans, sa compréhension de la réalité se rapproche davantage de celle de l’adulte. L’évolution des capacités d’évaluation de la durée n’est cependant pas encore terminée (R.Rigal et call., 1974, p 287).
v L’organisation spatio-temporelle.
Pour fournir une réponse motrice adaptée à une situation déterminée, l’enfant doit structurer correctement l’espace et le temps, non seulement indépendamment l’un de l’autre mais en réelle complémentarité. Nous parlerons de structuration spatio-temporelle.
Parfois, un travail méthodique de l’espace et du temps pourra s’avérer nécessaire. De toute façon, avant 7 ans, des difficultés très importantes subsisteront. L’intégration des perceptions spéciales et temporelles permet l’appréciation des trajectoires et des vitesses. Elle autorise la localisation des objets en mouvement. Les notions de vitesse, de mouvement et de déplacement combinent les notions de temps et d’espace.
Conclusion
Toutes ces informations nous montrent que le bon développement d’une future joueuse professionnelle commence dès le plus jeune âge.
Force est de constater que durant de nombreuses années, cette croissance et maturation corporelle était en charge des professeurs d’éducation physique dans les écoles.
Malheureusement, la mouvance actuelle de quitter le système scolaire dès le plus jeune âge pour suivre une éducation par correspondance voit les cours d’éducation physique supprimés. Il est donc un devoir pour les coaches de tennis et entraineurs physiques de prendre le relais de ce manquement.
C’est ce nouveau rôle peu connu et mal maitrisé de beaucoup d’entraineurs et coaches actuels qu’il va falloir développer rapidement pour relever le niveau du tennis le plus rapidement possible.
Références
Boisacq – Schepens (1998) C. Fayt, dans l’enfant et le sport. Editions De Boeck Université
Duchateau J. (1998). Maturation musculaire et problématique de la musculation avant la puberté. Dans : « l’enfant, l’adolescent et le sport ». Cazorla G. & Robert G., eds. Actes du 4ieme Colloque International des Cadres Technique et Sportifs de la Guadeloupe.
Hauert, C. A. (1995). Les déterminants du développement moteur. Dans C. Bertsch et C. Le Scanff, Apprentissages moteurs et conditions d’apprentissages. Paris : Presses universitaires de France.
Le Boulch (1995). Mouvement et développement de la personne. Paris, Vigot.
Malina et Bouchard (1998). Growth, Maturation and physical activity. Human Kinetics
Rigal, R. (1985) Motricité humaine. Fondement et applications pédagogiques, Tome I, Paris, Vigot.